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Diagonales 125, Dossier La santé mentale, ici et ailleurs
Pensons à l'envers!
Et si les troubles psychiques étaient une pure construction? Et si, dans l’antichambre d’un cabinet, tout votre système de références était mis sens dessus dessous? Ça vous semble farfelu? C’est pourtant exactement ce qui arrive à certains patients lorsque la psychiatrie ignore leur ancrage socioculturel. Considérées comme pathologiques, ici, ces voix
qu’ils entendent étaient divines, là-bas. «Chaque culture produit non seulement un certain type de troubles psychiques, mais aussi une manière de les percevoir et de les traiter», nous dit l’ethnopsychiatre Franceline James, dans l’interview de la page 4.
Bien sûr, il ne s’agit pas ici de lancer un appel au mysticisme, ni d’enfermer les troubles dans un culturalisme rigide, figé. Seulement, imaginez deux secondes le monde sous un autre jour. Voilà l’effort qu’on vous demande dans ce numéro consacré à la santé mentale dans différents contextes socioculturels.
Penser «out of the box», ne serait-ce qu’un instant, permet de saisir quelque chose d’infiniment humain, d’universel, dans la trajectoire de l’autre. Le travail des interprètes communautaires s’inscrit dans cette démarche. Dans les cabinets, ils parlent la langue du patient, connaissent ses codes, mais aussi les us et coutumes du thérapeute. Plus que des traducteurs, ils constituent un pont, deviennent des interprètes du parcours de vie, donnant à voir et à entendre le système de référence du patient, son univers, ses valeurs, ses questionnements. En Suisse, l’interprétariat
communautaire a le vent en poupe. Mise en place par l’association vaudoise Appartenances en 1996, la formation à cette profession a depuis été élargie au reste de la Suisse romande. Elle est soutenue par la Confédération (brevet fédéral).
Mais jusqu’où la compréhension peut-elle vraiment aller, sans interaction directe entre les deux protagonistes d’une thérapie? Au Guatemala, certains psychothérapeutes font un choix audacieux. Face au besoin évident de compréhension mutuelle, ils apprennent les langues mayas, idiomes maternels de leurs patients. Certes, le phénomène reste marginal. Le constat n’en est pas moins encourageant. Bienvenue dans la psychiatrie 3.0 où l’interaction se réinvente. Et où la notion d’«intégration» ou d’«adaptation» peut être envisagée à contresens.
Renata Vujica
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Diagonales 124, Dossier Société sécuritaire : un mythe ?
Numéro d’équilibriste
Assurer la sécurité de la population tout en protégeant les libertés individuelles de chacun relève du numéro d’équilibriste, voire du défi impossible. C’est d’autant plus vrai lorsqu’une personne souffre de troubles psychiques, d’une déficience mentale ou d’un grave état d’abandon, et qu’un-e professionnel-le estime qu’elle représente un danger pour son entourage ou pour elle-même, cela même si elle n’a commis aucun délit.
Dans un tel cas, un placement à des fins d’assistance (PAFA ou PLAFA) peut être prononcé, et la personne concernée se voir placée dans une institution dite «appropriée», bien souvent en hôpital psychiatrique, ce qui entraîne inévitablement une restriction de ses libertés. Et des souffrances. Pour elle, mais aussi pour ses proches. Les différents témoignages de notre dossier sont sans équivoque à cet égard.
Or le taux de PAFA prononcés en Suisse est relativement élevé, en comparaison avec l’Europe. Et il augmente même continuellement depuis quelques années dans certains cantons, Vaud en tête (de grandes disparités existent entre les cantons). Cette situation serait-elle liée à un besoin accru de sécurité au sein de la population? Des PAFA sont-ils prononcés par manque d’alternatives? Aucune explication claire n’a pu être identifiée à ce jour, selon le Dr Stéphane Morandi, médecin associé au Service de psychiatrie communautaire du CHUV et médecin cantonal adjoint.
Il n’en reste pas moins qu’une tendance sécuritaire dans la société se dessine depuis plusieurs années. L’assouplissement du secret médical pour les détenus considérés comme dangereux et l’adoption récente par le Parlement suisse d’une loi sur la surveillance des assurés en sont des signes.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’il manque des institutions comme l’Unité des Lilas à Genève qui accueille des détenus ayant des troubles psychiques et pour qui une mesure institutionnelle en milieu ouvert a été décidée. Selon le responsable de l’unité, le monde de la justice et celui des médecins ont des objectifs parfois diamétralement opposés: le premier doit assurer la sécurité de la société, alors que le second essaie de soigner un patient dans des conditions qui peuvent être
compliquées.
Malgré ces tensions, notre dossier montre des professionnels conscients des enjeux et désireux d’améliorer la situation. Des espaces comme les Cafés «Prison» du Graap-Association, qui réunissent l’ensemble des acteurs impliqués, y compris les personnes concernées, sont une ressource précieuse à cet égard.
Stéphanie Romanens-Pythoud
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"Parler du suicide sauve des vies" sur Radio Django
Le 22 mai dernier, Radio Django a consacré son Grand Direct au thème du récent congrès du Graap-Fondation. Plusieurs intervenants du congrès se sont exprimés dans cette émission (Carole Mock, Oriana Bruecker, Pascale Ferrari et Yves Dorogi). Vous pouvez écouter cette émission en vous rendant sur le site web de Radio Django.
Diagonales 123, Dossier Rire
Un bon médicament
«Rire, c’est bon pour la santé.» Au-delà du ton et de la forme qui lui ont valu les railleries de la planète entière, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann avait raison lors de son discours prononcé à l’occasion de la Journée des malades, le 5 mars 2017. Le rire fait du bien
physiologiquement, psychiquement, mais aussi, et peut-être même surtout, socialement. Selon les situations, il offre de la détente, un moment d’évasion, une échappatoire et, très souvent, il crée du lien.
Pour l’humoriste romande Brigitte Rosset, le rire est même un bon médicament. Elle le dit sans ambages dans notre dossier consacré au sujet: il l’a aidée à rebondir lorsqu’elle était au fond du trou. En clinique, il lui a permis de dédramatiser sa situation.
Les effets bénéfiques du rire sont désormais prouvés par de nombreuses études. Celui-ci n’a jamais été aussi analysé qu’aujourd’hui (il existe même des gélotologues, des spécialistes du rire!). Les hôpitaux l’ont compris depuis longtemps, à l’image des HUG qui sont à l’origine d’Hôpiclowns. Depuis plus de 20 ans, les clowns de l’association genevoise passent chaque semaine dans les
unités pédiatriques de l’hôpital et, depuis une dizaine d’années, ils animent aussi les zygomatiques de nombreux adultes hospitalisés.
Paradoxalement, il semble que nous rions moins qu’avant dans nos sociétés. Nos gorges ne se déploieraient plus que quelques petites minutes par jour. Une évolution qui explique certainement une partie du succès des pratiques telles que le yoga du rire, qui se multiplient dans nos contrées.
Dans certains cas, le rire peut néanmoins être un rempart cachant un grand vide, une détresse. Pour les personnes concernées, ces «dépressifs souriants», lorsque le rempart lâche, le choc peut être extrêmement violent, dévastateur. D’où l’importance de prêter une réelle attention aux personnes qui nous entourent, et de s’assurer que leur rire est un rire qui crée du lien, et non un
rire de façade.
Stéphanie Romanens-Pythoud
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Un congrès pour briser les tabous (communiqué de presse)
Le 29e congrès du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (Graap) a abordé, hier et aujourd’hui, un thème vital: le suicide. Plus de 600 personnes, issues d’horizons très variés, y ont participé au Casino de Montbenon, à Lausanne.
Durant ces deux jours, les échanges ont été nourris, instructifs, engagés et émouvants. Des interventions d’experts, l’expérience de personnes directement confrontées au suicide (en particulier les proches et les professionnels), ainsi que les témoignages de personnes qui ont commis une tentative de suicide, ont permis d’appréhender ce fléau. Au fil des conférences, le public a pu percevoir la souffrance aiguë des personnes assaillies par des idées suicidaires, l’impasse dans laquelle elles ont l’impression de se trouver, l’ambivalence de leurs émotions. Il a aussi pu réaliser la détresse des proches et la complexité de leur deuil, l’engagement des professionnels, ainsi que la nécessité de parler ouvertement du suicide pour mieux le prévenir.
Plusieurs intervenants ont brisé des idées reçues. Tout d’abord, la Suisse a réduit de plus d’un tiers le nombre de suicides depuis les années 1980: grâce surtout à des politiques de prévention, elle affiche désormais un taux de suicide proche de la moyenne mondiale. Le suicide des jeunes (de 15 à 29 ans) connaît toutefois une légère hausse depuis 2015, ce qui corrobore la nécessité d’une vigilance permanente en matière de prévention. Autre constat: le suicide ne peut être assimilé à un choix rationnel; il s’inscrit le plus souvent dans un contexte de crise où la personne est dissociée de son entourage et d’elle-même.
De nombreuses pistes ont été évoquées pour prévenir le suicide. Réduire l’isolement des personnes en souffrance est essentiel; la solitude et l’absence de soutien social ou psychologique augmentent les risques de commettre le geste fatal. Dans les cas les plus graves, les urgences psychiatriques jouent un rôle crucial pour sortir les personnes en crise de leur isolement. De leur côté, les groupes de parole et l’art-thérapie contribuent à atténuer les souffrances des proches endeuillés.
Enfin, le suicide recule lorsque la société ose en parler. Les tabous ont d’ailleurs fait l’objet de nombreuses discussions et interventions. D’origine religieuse et culturelle, ils ont longtemps empêché de parler du suicide et dissuadé des personnes en détresse de solliciter de l’aide. La nécessité de transformer le tabou en paroles et en actes a été soulignée par plusieurs intervenants, à l’image de Sophie Lochet, coordinatrice de STOP SUICIDE: «Chacun peut faire de la prévention en étant à l’écoute de son entourage et en laissant des portes ouvertes à ses amis pour en parler.»